Expédition au Tilicho (7134m),Népal,printemps 2021
Contexte:
Ce sommet, dont un ami m'avait parlé il y a plus de 10 ans, restait dans un coin de ma tête. Faute d'envie et de possibilités d'y aller au même moment, ce projet n'avait jamais pu voir le jour. Aussi en 2019, après 6 ans sans être retourné au Népal, l'idée ressurgit, avec l'espoir d'en faire une expé "club", locale, grenobloise, ce qui peut créer une bonne émulation collective.
Faute de candidatures expérimentées je dois ratisser plus large et l'équipe constituée de 8 membres au total vivra là sa 1ère expé mais les dés sont jetés ! Dès lors, je décide de prendre l'organisation de cette expédition entièrement à mon compte (avec notamment l'épineux problème de l'acheminement du matériel de la France vers le Népal) et de transmettre tout ce que j'aurais aimé savoir quand j'ai commencé à aller en haute altitude il y a 15 ans de cela.
La voie emprunte l'éperon Nord-Est, et la cotation oscille entre PD+ et AD+/D- suivant les dernières personnes à l'avoir gravie. Les statistiques donnent 20% de chances de réussites, mais la plupart des ascensions réussies l'ont été grâce à des sherpas, or nous avons choisi d'être autonomes (pas de guide, pas de sherpas).
Les photos de cette montagne et de cette voie sont en tous cas magnifiques même s'il est dur de se faire une idée précise ; mais c'est aussi ça l'aventure ! Dans le cadre de cette expé club (CAF-GO), j'espérais avant tout une bonne entente dans le groupe, faire les choses en sécurité, et si le sommet s'offrait à nous, la réussite et la joie n'en seraient que plus exceptionnelles ! Mars 2020, le Covid passe par là et je me retrouve quasi seul au Népal à attendre l'équipe (ici), le projet est repoussé au printemps 2021.
Février 2021, l'incertitude qui a pesé sur la préparation et l'implication de l'équipe est toujours de mise mais tous font l'effort de venir pour sauver l'expé qui peut se concrétiser au tout dernier moment (il nous a fallu notamment passer par la Suisse pour "contourner" l'interdiction de quitter le territoire par les airs).
Place à l'action:
Après un trek d'acclimatation au Langtang et à Gosainkunda plus ou moins long suivant les disponibilités de chacun, et une approche le long de l'Annapurna et de la grande barrière, nous arrivons au lac Tilicho, un des plus bels endroits où l'on puisse poser un camp de base. L'endroit est ensoleillé, superbe, et la paroi imposante se dresse face à nous. L'Himalaya dans toute sa splendeur, à 4800m déjà...
Premier constat : la voie est bien raide et la face bien sèche cette année. Mais pas de défaitisme, il peut se passer beaucoup de choses en trois semaines : des chutes de neige se produisent d'ailleurs pendant une semaine quasiment dès notre arrivée, mais accompagnées de forts vents en altitude créant des plaques à vent pile dans l'orientation de notre voie, nous compliquant par conséquent la tâche et la réflexion durant toute la durée de l'expé. Première montée au camp 1, nous nous répartissons en deux équipes de quatre, sur deux jours, ce qui nous permet dans un premier temps de ne monter que la tente de quatre places. Après une moraine puis des pentes faciles sur 500-600m, l'affaire se complique avec au choix une arête rocheuse en rocher un peu pourri où pendent de vieilles cordes fixes à droite, une sorte de rampe mixte bien raide à gauche qui débouche sur une corniche menant à une arête conduisant à la suite de l'éperon, et au milieu un couloir assez étroit en neige se redressant sur le haut. J'opte pour celui-ci. Les sacs sont assez lourds et plus on monte, plus cela se corse. Ce qui paraissait être du mixte assez facile s'avère être du M4 (à 5800m). Alors on s'assure tous plus ou moins au machard sur une corde fixe qui traîne là...
Le temps se gâte, aussi je ne m'arrête pas et décide d'en sortir au plus vite pour rejoindre l'arête de neige à gauche et attendre mes compagnons. Derrière, pour Philippe, Emilie et Pablo, ce n'est pas non plus de tout repos malgré les marches. Désormais à 5800m, lieu de l'emplacement de notre camp 1, il neige et on ne voit plus grand chose ; mais l'endroit est tout sauf plat pour y installer un camp, surtout que la glace est présente sous 10cms de neige.
Peut-être plus bas sur l'arête au niveau de petits cailloux (mais cela semble exigu) ou alors 50-100m plus bas sur le glacier suspendu après avoir passé une crevasse ? Pablo se propose d'aller voir et je le mouline en joignant nos deux cordes de 60m et les fixant à un pieu à neige couplé à une broche. Il saute la crevasse et nous fait signe que l'endroit est plat. Après être tous descendus un par un (deux d'entre nous tomberont dans la crevasse, donc nous installerons une tyrolienne pour les sacs afin d'être plus légers), l'endroit s'avère être parfait ! Protégé des avalanches fréquentes dévalant la face à 100m de distance (trois à la suite pendant l'installation du camp !), du sérac en forme d'oeil bien présent 600m au-dessus, et de la paroi peu raide que nous venons de descendre, notre camp 1 est safe. Même la crevasse nous protège d'une coulée qui pourrait venir de ce côté. De plus, après le plus beau camp de base que j'ai pu voir, voilà probablement le plus beau camp 1 qui soit ! Nuit assez paisible malgré un petit mal de tête, et nous cédons la place demain aux quatre autres (Mounir, Aurélien, Kin, Jérôme). Redescente en rappel dans le couloir. En les croisant je leur suggère de tenter plutôt la rampe. Mails ils continuent tout droit comme nous hier et la présence d'un peu plus de neige ne leur facilite néanmoins pas la tâche. Mounir se lance bravement en tête et équipe en usant d'un piton pour faciliter le passage de ses camarades. Tout cela leur prend deux heures : il faudra où laisser 100m de cordes à demeure ou tenter un autre passage.
Une semaine passe... Neige et attente que les pentes stabilisent. Après un ou deux portages au pied de la pente l'heure est à la stratégie et aux choix d'équipe. Soit faire des petites cordées alpines mais cela sous-entend que tout le monde ne pourra pas monter, soit tenter d'équiper toute la partie camp 1-camp 2 mais cela sous-entend un travail important qui risque d'empêcher toute tentative. On vote, ce sera tout le monde ou rien !
Les sacs se font désormais plus lourds (pieux, ancres à neige, coinceurs, cordes fixes, tentes, etc). Pour atteindre plus facilement le camp 1, j'équipe assuré par Aurélien la fameuse rampe à gauche de 3x60m de cordes fixes. Voulant tout d'abord me protéger je cherche à placer des points dans le rocher pourri et y passe un temps fou sans succès. Les pitons éclatent la roche, aucune fissure valable ne permet d'y loger un coinceur : trois relais sur corps mort et une sangle posée en tout et pour tout dans une longueur ! La 3ème et dernière longueur au-dessus d'un petit éperon me laisse quelques sueurs froides, le vide est bien présent, chute interdite et je n'ai jamais fait de marches aussi raides à cette altitude. La sortie se fait sous la corniche et je choisis l'endroit le plus raide mais où celle-ci est la moins épaisse. Creuser celle-ci, se faire tout doux...c'est passé !
Pépins physiques, gastriques, après deux jours il ne reste plus d'attaque qu'Emilie, moi, Kin et Mounir, pour tenter une montée au camp 2. Cette partie est le crux de la voie : après une pente de neige à 40 degrés, une arête raide et rocheuse mène à une pente plus raide, la faucille, avec un passage à 55 degrés qui m'inquiète un peu, surtout que je redoute de la glace que l'on devine aux jumelles.
Nous formons deux cordées et fatigué d'avoir tracé depuis le début de l'expé, je souhaiterais me reposer, aussi même prêt j'attends patiemment que tout le monde se prépare ; mais le temps passe et nous partons trop tard. Au bout de 100m de dénivelé, Mounir et Kin font demi-tour, le soleil chauffe la pente orientée Est et le risque de coulée n'est pas négligeable, nous redescendons et retenterons demain.
Suite aux prévisions qui me laissent sous-entendre (à tort) que ces deux-trois jours de beaux temps seront les seuls, je ne vois l'intérêt de monter que pour continuer au sommet. Mais sans avoir effectué de nuit préalable au camp 2, et après l'échec de la veille, c'est ambitieux et serré niveau timing.
En tête dans la pente de neige qui mène à l'éperon rocheux, je marque un temps d'arrêt à peine plus haut que la veille. Le peu de neige qui recouvre la glace se fait de plus en plus mince alors que la pente se redresse. Le rocher de visu ne me semble pas si simple, on va y passer un temps fou, il faudra tirer des longueurs dans la faucille sans compter qu'il faudra équiper toute la descente en rappels depuis l'arête du camp 2, soit 600m. Il aurait fallu partir de nuit...
Lassé, impressionné aussi par la suite, ne souhaitant pas prendre de risques persos et collectifs trop importants dans le cadre de cette expé, surtout pour ne monter qu'au camp 2, je sais que je ne vais pas continuer plus loin. Nous n'atteindrons pas le sommet. Penché sur mon piolet, je pleure avant de faire demi-tour. Emilie, très déçue, m'avouera avoir aussi versé sa larme. Kin, très motivé, est très déçu aussi et regrettera la démotivation générale. Mounir se console en redescendant une partie de la pente sous le camp 1 en snowboard.
Alors le possible créneau du 1-3 Mai aurait pu finalement être tenté, après que l'on ait profité de ce créneau pour monter dormir au camp 2 et peut-être ai-je été trop prudent, aurions nous dû être plus persévérants et ne pas baisser les bras aussi vite ; mais on ne peut refaire l'histoire et je ne regrette pas trop mes choix. Nous rentrons tous entiers et enrichis d'une nouvelle expérience.
De plus, partir quelques jours plus tôt du camp de base permettra à quasi toute l'équipe de prendre un avion juste à temps (nous ne le savions pas mais Katmandou était en confinement et l'aéroport fermait quatre jours plus tard). Si nous étions restés jusqu'au bout, cela signifiait rester confinés un mois à Katmandou...
Quand à Emilie et moi, nous quittons nos compagnons d'aventure pour prendre une revanche à deux sur l'Himlung Himal (7126m), récit à suivre...
Demain montée au camp 1 pour désinstaller celui-ci, retirer les cordes fixes, déséquiper les rappels et tout ce que nous avons posé (comme devraient le faire toutes les expéditions comme la loi l'exige...). Nous laissons juste à la montagne une lunule et un maillon.
La déception présente, je repense néanmoins déjà peut-être repartir sur un sommet plus facile en 2023 ou 2024, sur le même principe d'une expé club, en faisant les choses un peu différemment. Si vous êtes intéressés, faîtes signe que cela commence à me motiver...
Et si vous souhaitez organiser votre propre expédition, n'hésitez pas à me contacter pour bénéficier de quelques conseils !
Vidéo de l'expédition : https://youtu.be/uTzUQln8eqw
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