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Aventure et Zizanie au Gasherbrum 2

Baltoro Kangri, au pied du camp de base, un beau 7000m du Baltoro
Baltoro Kangri, au pied du camp de base

Après le succès au Broad Peak en solo il y a 2 ans, j’ai eu envie de monter un groupe et d’emmener des gens qui n’avaient jamais été en très haute altitude.


Le G2 est présenté souvent comme un, si ce n’est le plus facile, des 8000. Il n’en est rien même si c’est le plus abordable des 8000 pakistanais. Très vite nous nous en rendrons compte. Marco, un guide italien bouclant ses 14, nous dira par deux fois que c’est l’accès au camp 1 le plus difficile de tous les 8000, que l’Icefall de l’Everest est une formalité en comparaison. J’ai un peu de mal à le croire car je n’ai jamais eu l’impression d’être souvent sous des immeubles prêts à s’effondrer mais c’est vrai que ce champ de mines nous monopolisera une bonne partie de l’expé, et j’étais persuadé qu’on allait être plusieurs à tomber dans une crevasse.


Alors même si un 8000m sans oxygène et sans porteurs d’altitude comporte à la base déjà peu de chances de succès, l’aventure humaine, sommet ou pas sommet, promettait d’être belle : je connaissais la moitié de l’équipe et j’étais donc confiant sur le fait que ça allait bien se passer.

Le fait que certains dans l’équipe étaient plutôt néophytes en alpinisme et physiquement un peu juste, allait compliquer la donne. Mais il y avait quand même plusieurs personnes qui pouvaient être leaders de cordée donc j’estimais la chose possible, et j’étais même plutôt confiant sur la réussite de l’équipe, je savais qu’ils allaient me suivre et m’écouter, qu’on allait œuvrer tous vers un même objectif commun. Mon but premier était que l’on parte tous ensemble du dernier camp en direction du sommet.


Entre besoin de raconter et envie d’oublier, j’ai décidé, comme toujours, de raconter comment j’ai vécu ce voyage.

Récit (long et personnel) d’une expé qui me laissera un goût très amer, malgré quelques bons moments passés ensemble.

Départ du trek en direction du Baltoro, depuis le village d'Askole
Départ du trek en direction du Baltoro

Présentation de l’équipe (les prénoms ont été changés):

Pascale : partenaire de cordée et de vie, elle est de quasi tous mes voyages depuis le covid et a vite appris. Elle est une aide très précieuse avant et pendant une expé. Présente au camp de base du Broad Peak il y a 2 ans, ça lui a donné envie de tenter un 8000. Je rêve d’être là-haut avec elle.

Seul défaut : elle pourrait être une bonne leadeuse mais préfère toujours être dans ma cordée.

Valérie : on se connaît depuis 2 ans et on s’apprécie, c’était un peu ma chouchoute avant cette expé car elle avait une bonne mentalité. Forme une cordée avec Palan depuis le Népal de l’automne dernier. Seul défaut : un peu susceptible !

Palan : népalais vivant à Grenoble, un leader de cordée, très calme et agréable, avec lui impossible de se fâcher. Seul défaut : on a parfois du mal à bien le comprendre avec son accent !

Mehdi : alsacien sympathique. Le plus juste techniquement et souffre du mal des montagnes. J’ai longtemps hésité à le prendre à cause de cela mais sa bonne humeur en toutes circonstances en fait un excellent compagnon d’expé. Cela se vérifiera encore cette année.

David : jeune du club avec beaucoup de potentiel, que j’ai formé pendant une semaine d’alpinisme hivernal. Intéressé pour venir au Gasherbrum2, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je le voyais comme mon poulain. C’est la grande satisfaction de cette expé, il a été exemplaire en tous points, et a beaucoup appris. Seul défaut : ne dit pas toujours ce qu’il pense lors des débriefings ! Je lui offrirai la tente (quasi intacte) que je découvre dans le sac à dos d’un équatorien décédé sur le glacier plusieurs années auparavant. Cette tente nous a d’ailleurs permis de réparer un élastique défectueux de nos arceaux.

Et puis trois personnes que je ne connaissais pas :

Sébastien : initiateur alpinisme de Lyon. Ca en fait un leader de cordée, mais je le sens un peu fragile et je crains qu’il soit esseulé dans l’équipe.

Robert : retraité dans le Dévoluy et skieur venant de passer l’instructeur au Club Alpin ce printemps. Motivé, enthousiaste, il m'avait fait bonne impression. Sort souvent en ski de rando donc a une bonne forme, et cadre fédéral aussi : je pensais qu’il m‘aiderait naturellement à gérer le groupe en cas de mésentente. Colérique et individualiste, ce fut finalement la plus grande déception de l’expé en ce qui me concerne. Absent de la réunion préparatoire car la météo était mauvaise, cela n’annonçait rien de bon pour la suite.

Franck : 58 ans, pote de Robert, absent aussi de la réunion préparatoire, il m'avait rassuré en me disant le premier jour qu’il suivra mes conseils et qu’il ne faut pas hésiter à lui dire s’il fait des conneries, notamment lors du dernier jour d’ascension. Le personnage me plaît aussitôt lorsque je le rencontre en physique. Il apporte notamment une tente comme matériel collectif.

Et puis un groupe très sympathique de 4 trekkeur(e)s ami(e)s nous accompagne jusqu’au camp de base. C’était un pari car cela peut être source de complications, mais dans ce voyage au Pakistan ce fut un excellent souvenir.

K2 à gauche et Broad Peak à droite, deux géants du Baltoro, à plus de 8000m d'altitude
K2 à gauche et Broad Peak à droite, deux géants du Baltoro
Porteurs sur le trek, qui emmènent nos charges jusqu'au camp de base, et sans qui rien ne serait possible
Porteurs sur le trek

Dans le document de conseils de quinze pages fourni à chacun, le conseil numéro 2 précisait que l’engueulade était la pire des choses à faire en expé.

Or très très vite des tensions sont apparues dans l’équipe :

Robert emploie le mot ‘connard’ dès le 2ème jour du trek à propos d’un membre du groupe, et pique une colère noire en s’adressant à nos porteurs et muletiers en arrivant au camp de base, car nos bagages ont été déposés un peu trop tôt sur la moraine avant que j’arrive. J’hésite à le recadrer mais je mets ça sur le compte de la fatigue. Cela intervient 10 minutes après la petite cérémonie que l’on donne pour leur remettre leurs pourboires et leur souhaiter un bon retour. Je file discrètement un gros pourboire supplémentaire à leur chef et j’apprendrai au retour que le responsable pakistanais de notre camp de base en avait fait de même, afin d’éviter qu’une bagarre n’éclate ! J’ai honte de l’image donnée de notre groupe et surtout je constate son pouvoir de nuisance ou de persuasion car du coup certains sont comme lui remontés contre l’équipe pakistanaise qui nous a pourtant permis de transporter 800kgs de matériel ici (or sans muletiers ni porteurs, pas d’expédition…).

Ensuite, une des premières montées sur le glacier de nuit se soldera par un ‘ta gueule’ retentissant 100m plus bas sur le glacier, alors que Pascale, moi et David bivouaquons en attendant le jour. Franck réapparait, une violente altercation a eu lieu entre lui et Sébastien. Cela me fait rire mais quasi tout le monde prendra Sébastien en grippe depuis ce jour, malgré un mea culpa et des excuses publiques parfaites le lendemain. Celui-ci sait qu’il a merdé. C’est un agneau lorsqu’il est encordé avec moi, mais il est très stressé lorsqu’il est leader, et a tendance à s’énerver. Cela me fait de la peine pour lui mais en fin d’expédition il tiendra des propos racistes auprès de Mehdi, ce qui est impardonnable. En tous cas, cela m’amènera à revoir les cordées et me séparer de David pour le mettre avec Sébastien.

Un autre incident intervient quand on me demande de déléguer des tâches. Je leur demande de confectionner des fanions d’une certaine façon et pars faire autre chose ; lorsque je reviens, ce n’est pas exactement ce que j’avais demandé. Robert hurle en me pointant du doigt « c’était TA décision !! ». J’hallucine de la violence de l’instant, mais personne ne réagit.

Cela fait 10 jours seulement que l’on est au camp de base et je réalise que l’on n’arrivera à rien dans ces conditions. Pascale sent les choses et convoque l’équipe pour une petite réunion de crise, les gens promettent de faire des efforts pour bien s’entendre mais Robert ne s’excuse pas. Quelques jours plus tard l’ambiance est toujours tendue et je propose alors une séance de calinothérapie, où chacun fait part de ses rancœurs. Valérie est la seule à me reprocher un petit truc que je n’ai toujours pas compris, mais l’antagonisme entre Sébastien et une partie du groupe semble résolu. Tout le monde joue le jeu et se prend dans les bras. Même ma rancune envers Robert est oubliée et je lui dis. Ce soir-là, je suis fier de l’équipe et je sens que ça y est, l’expé va repartir sur de bien meilleures bases, je m’endors heureux et confiant sur la suite. Un groupe est né ?

Glacier du Gasherbrum 1 et 2
Glacier du Gasherbrum 1 et 2, un beau chantier...
Dans l'Icefall entre camp de base et camp 1, Gasherbrum2
Dans l'Icefall entre camp de base et camp 1

Pour ce qui est de l’ascension technique du Gasherbrum 2, nous sommes arrivés en premier (le même jour que 2 polonais). N’ayant pas d’oxygène ni de porteurs d’altitude, cette autonomie nécessite plus de temps d’ascension. C’était donc une volonté de ma part de prendre bien le temps de s’acclimater, pour viser une ascension vers le 22 Juillet, coïncidant avec la pleine lune.Le glacier menant au camp 1 comporte deux parties, un icefall de 500m de dénivelé en partie en glace et très tourmenté, puis une très longue montée sur un glacier en neige bouché en apparence, mais très crevassé aussi (il s’ouvrira de plus en plus). La configuration des lieux fait qu’il y fait très chaud, comme dans un four, il faudra donc grimper uniquement de nuit. Du coup on se répartit en petit groupes de 2,3 personnes et tous les soirs, un groupe ou deux partent pour trouver un chemin dans ce dédale ou progresser un peu plus par rapport au travail fait la veille.

Ajouté au fait que la météo est imprévisible cette année, j’ai l’impression d’évoluer comme au temps des pionniers, quand il n’y avait ni topo, ni prévisions météo, ni trace. Ce fut un vrai morceau d’himalayisme dont nous pouvons être fiers. On a essayé à gauche, au milieu, à droite, et à force de persévérer, un chemin plutôt safe est trouvé sur la droite, loin des pentes et des séracs du Gasherbrum 1, avec peu de crevasses à passer, si ce n’est sur le haut, avec un pont de neige qui me laissera des sueurs froides en le passant en tête. Tout le monde a joué le jeu de ce roulement, et j’étais content de l’équipe. Le 4 Juillet au petit matin, la jonction est faite avec le chemin sur la gauche utilisée par les sherpas en suivant une trace gpx. En quelques jours ils ont réalisé ce qu’on a mis deux semaines à faire, mais leur itinéraire est plus dur à suivre et utilise quelques cordes fixes sur la fin. Néanmoins, afin de maintenir une trace parcourue tout au long de l’expé, nous utiliserons ensuite la leur.

Il est 10h30 ce matin du 4 Juilllet et il fait chaud. Avec Pascale et David nous décidons de stopper à 5800m environ pour bivouaquer, car les ponts de neige deviennent fragiles, et il ne faut surtout pas passer aux heures chaudes sous la face du Gasherbrum 5, comme je l’avais stipulé. La cordée Robert, Valérie, Palan continue. 15 minutes plus tard, une cordée pakistanaise (deux guides, un client) tombe devant nous dans une crevasse, David leur file un coup de main pour se sortir de là. Deux heures plus tard une énorme avalanche ravage la face du Gasherbrum5 et la trace… Nos 3 équipiers étaient heureusement déjà passés. Le lendemain je refais un rappel sur la sécurité. Mais le camp 1 est posé, et c’est une petite victoire collective pour l’équipe de français amateurs que nous sommes. De la vraie montagne.


Camp de base du Gasherbrum2, sous la neige
Camp de base du Gasherbrum2
Camp 1 du Gasherbrum 1 et 2, au pied du Gasherbrum 1
Camp 1 au pied du Gasherbrum 1
Camp 2 du Gasherbrum2, un vrai nid d'aigle, à 6400m
Camp 2 du Gasherbrum2, un vrai nid d'aigle

Mais depuis que les expéditions commerciales sont arrivés (quasi deux semaines après nous), nous assistons à une parodie d’alpinisme. Une expédition commerciale coûte quatre fois plus cher qu’une expédition amateur, avec sherpas, oxygène, cordes fixes et plus de logistique, deux approches totalement différentes donc. Et pour les expéditions commerciales, le temps c’est de l’argent, donc il faut faire le sommet le plus vite possible, quitte à épuiser les clients ou faire le sommet un jour de mauvais temps (une cliente d’une agence me dira qu’elle n’a vu que le dos de son sherpa de toute l’ascension…), quitte à laisser des déchets un peu partout sans aucun scrupules (je ramasserai de quoi remplir quatre gros sacs poubelles au camp 1). Habitué à des sommets sans foule par le passé, j’hallucine de ce que je vois (tentative de sommet deux jours de suite de mauvais temps pour toutes les expés commerciales), et je me dis qu’il ne faudrait pas grand-chose pour assister à une catastrophe d’ampleur, comme des chutes de neige soudaines et importantes.


Au sein de notre équipe leur organisation fait envie, et suivre coûte que coûte leur planning devient la règle, quitte à ne plus m’écouter. Un matin tout notre groupe monte au camp 2 alors qu’il se met à neiger. Rien ne presse, je décide de rester. Tom, un piolet d’or, et Pawel, qui a tenté le Nanga Parbat en hiver, partagent mon analyse et ne bougent pas non plus ; je n’insiste pas et ne peux que constater qu’alors que je leur disais de ne pas trop toucher aux cordes fixes, ils montent sans 2ème piolet et en se tractant, et sans cordes personnelles. Les discussions que j’essaye de lancer sur le sujet par la suite resteront sans réponses. Seuls Sébastien et David optent pour la pente moins raide mais sans trace à droite, ce qui paraissait le plus logique, et cela m’enchante.

Le lendemain, Valérie décide de continuer « avec des professionnels » (ceux tombés dans la crevasse), pour bénéficier d’oxygène et d’un guide pakistanais. Stupeur et incompréhension. Le groupe est sur le point d’exploser. En attendant, ils redescendent tous alors qu’avec Pascale nous montons dormir au camp 2 haut puis au camp 3 à 7000m. Il neige à notre arrivée, ça souffle fort et la nuit fut épouvantable dans notre petite tente, mais l’essentiel est là : nous avons dormi à 7000m, préambule à toute tentative vers le sommet. Mauvais timing pour le reste du groupe qui n’y aura pas dormi, et cela m’inquiète pour la suite.


Dans l'Icefall du Gasherbrum2, entre camp de base et camp1, des heures dans ce labyrinthe
Dans l'Icefall du Gasherbrum2, entre camp de base et camp1
Entre camp 1 et camp 2 du Gasherbrum2, pentes de départ
Entre camp 1 et camp 2 du Gasherbrum2

Redescente au camp de base et un créneau (enfin bon et limpide) est annoncé pour le 28 Juillet.

Après avoir passé 6 jours au-dessus du camp de base avec Pascale, cela ne nous laisse qu’un seul vrai jour de repos, c’est trop peu, mais je n’ai pas vraiment le choix car eux pressent pour monter illico presto et je me vois mal imposer une date décalée de 2,3 jours. Il faudra effectuer camp 1-camp 3 d’une traite comme prévu au départ sur le planning. Eux partent un jour plus tôt mais je les trouve trop lents. Franck, sérieusement malade (suspicion d’embolie pulmonaire ?) prend des médicaments pour remonter. Et personne n’a voulu laisser d’inreach au camp de base pour faciliter un éventuel secours (nous avons cinq appareils permettant d’envoyer des messages entre nous par satellite). Ils ne trouvent pas non plus la petite tente emballée que je leur ai laissé là-haut avec un point gps : j’apprends qu’ils n’ont pas pris de pelles ! Les voyants tournent à l’orange foncé : on va vers un drame.


Avec Pascale au camp 1 on pèse le pour et le contre et on décide de stopper notre tentative de sommet. Être avec eux, c’était les inciter à continuer, car je savais qu’ils me suivraient. Être avec eux, c’était être responsable de tout ce qui allait se passer. Or je ne voulais évidemment pas assister à un drame que je savais imminent, encore moins l’encourager, et encore moins en être responsable sur le papier. En prenant conscience de tout cela, je ne pouvais plus continuer.

J’ai les boules… Ces deux ans de préparation pour rien… surtout que je ne m’étais jamais autant préparé physiquement. Même fatigué par une dernière nuit où nous sommes partis trop tôt avec Pascale et avons ensuite erré 2h dans l’icefall, je pouvais le faire. David fait aussi demi-tour pour les mêmes raisons. Je suis fier de lui, jusqu’au bout il aura pris les bonnes décisions.

Je me console en me disant que la barre était de toutes façons trop haute sur ce sommet qui est loin d’être facile. En discutant avec un ancien guide italien qui a fait le sommet en 1988, il m’explique qu’il n’y avait que 2,3 expés et pas de cordes fixes. Or il y a un ou deux passages où je suis bien content qu’il y ait eu une corde, notamment à gauche d’un sérac glacé sous le camp 3. Pour moi si tu n’es pas capable de grimper sans les cordes fixes, tu ne mérites pas le sommet et tu dois rester chez toi, de la même façon que tu dois te passer de porteurs d’altitude, de guides, et d’oxygène, si tu veux être digne de ces montagnes.


Vue depuis la tente sur le cirque des Gasherbrums, G6,G5, G4, G3,G2 et G1
Vue depuis la tente sur le cirque des Gasherbrums, un des plus beaux camp 1 sur 8000m

Redescente au camp de base à regret. Je suis persuadé qu’ils nous appelleront à l’aide dans 2 jours. C’est exactement ce qui se passera : après être monté au-dessus du camp 3, Franck est HS et demande le secours de l’hélicoptère au camp 2, ce qui a toujours été annoncé comme impossible. Sébastien, Mehdi, Robert redescendent aussi, en compagnie d’un polonais un peu fou, qui m’avait demandé d’aller avec lui au camp 4 dans la tempête. Je passe les détails, mais à la suite de mauvaises décisions en cascade ils se retrouvent dans le pétrin. Ils s’insultent et deux se battent même à coups de poing dans la descente.

Après un réveil à 1h du matin pour aller à leur rencontre, puis quelques faux départs plus tard, ce n’est qu’à 17h qu’ils apparaissent enfin dans les jumelles de Pascale. Sans nouvelles depuis six heures, nous les croyions morts et redescendions au camp de base pour organiser la recherche de cadavres. Soulagement. David et moi les allégeons d’une partie de leurs sacs. A ma grande surprise, ils n’ont pas porté le sac de Franck, et n’ont redescendu aucune des affaires collectives m’appartenant (plusieurs milliers d’euros et des déchets laissés sur la montagne).

Pascale, qui a redescendu deux jours plus tôt 19kgs pour les soulager (soit le tiers de son poids) et qui est arrivé épuisée, est écœurée. Elle vide son sac en employant des mots durs mais a raison sur le fond : ils n’avaient rien à faire dans une expé de ce type, et auraient dû se tourner vers une expé commerciale.

Tous sont contents de nous voir, sauf Robert qui ne dit ni bonjour, ni merci (il nous avait pourtant aussi envoyé un message commençant par « HELP »). Pas même un regard. Le summum de l’irrespect. Le point final à une expé ratée. Je me contiens mais désormais je ne songe qu’à rentrer. Vite.

C’est aussi le cas de Palan, marqué moralement par la perte de sa partenaire de cordée, et de Valérie, qui est partie quelques jours plus tôt avec mon accord. L’attitude du groupe vis-à-vis d’elle devenait très hostile. Elle est partie étonnamment avec notre officier de liaison (militaire pakistanais chargé de faire respecter les règles de l’accord que j’ai signé à Skardu avec les autorités). Celui-ci, très remonté au départ contre le changement d’équipe de Valérie, m’avait mis la pression (tout comme Robert) pour lui faire des remontrances. Et a viré sa cuti deux jours plus tard en abandonnant le camp de base, alors qu’une cordée était encore en altitude, s’apprêtant à demander de l’aide ! Jusqu’au bout cette expé aura été complètement chaotique. L’ambiance au retour est pesante pour moi, je m’attends à ce que Robert vienne me parler ou s’excuser, il n'en sera rien. Avec Pascale nous nous isolons et partons trois jours dans le Deosai pendant que le groupe reste à Skardu. C’est très joli et ce mini-trek aurait pu terminer l’expé de belle façon.

Notre cuistot au camp de base, une aide précieuse, on s'est régalé !
Notre cuistot au camp de base, une aide précieuse

Difficile une fois en France d’oublier tout ce qui s’est passé : ils ont tout gâché… Ils n’ont pas compris que sans une équipe unie on ne pouvait rien faire. Et pourquoi avoir décidé de partir avec moi si ce n’est pour ne pas bénéficier de mon expérience ? Aveuglés par le sommet ils ont surtout eu confiance dans le rouleau compresseur des expés commerciales pour aller en haut du Gasherbrum 2.

Sur la fin de l’expédition c’est comme si j’avais été un empêcheur de tourner en rond qui allait les priver de sommet, alors que je souhaitais juste qu’ils effectuent le sommet en sécurité, tous ensemble, au lieu de monter sans filet...

Les rotations de nuit dans l’icefall du Gasherbrum 2 en début d’expédition à tour de rôle ont créé inconsciemment des petits groupes. Alors que nous avions tous besoin les uns des autres pour faire le sommet. Les conditions sur place ne nous ont pas facilité la tâche non plus et cela a pu se répercuter sur le groupe : le glacier hyper crevassé, la chaleur qui fragilise les ponts de neige, la météo instable, la rotation supplémentaire (demandée par le représentant des expéditions commerciales) que l’on a fait pour déposer six rouleaux de cordes fixes au camp 1 et 2.


De mon côté je cherche à comprendre où j’ai merdé. Je lis des documents sur le leadership, rappelle d’anciens compagnons d’expédition…Dans le document détaillé j’avais spécifié que je ne souhaitais pas être un « chef », mais avoir plutôt un rôle de consultant, et que nous prendrions les décisions tous ensemble.

Avec un groupe expérimenté, cela a fonctionné dans le passé. Avec ce groupe, j’aurais dû être beaucoup plus ferme, et imposer mes choix. C’est aussi le constat que me feront les pakistanais.

A la fin de l’expé, je ne souhaitais plus repartir en prenant en charge un groupe, pour ne faire plus que de la montagne pour moi.

Mais depuis j’ai réencadré au club alpin avec des gens agréables et à l’écoute, j’y ai pris du plaisir. Ca fait même du bien ! Tout comme recevoir des nouvelles bienveillantes des uns et des autres, comme celle de Franck qui tire un bilan positif de cette expérience. C’est vrai que je devrais plutôt voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide : nous sommes tous rentrés vivants, tous auront battu leur record d’altitude, et vécu des moments forts. Il y a eu bien entendu des moments sympas entre nous (comme la bataille de boules de neige au camp de base et l’attaque du camp voisin, la fête nationale célébrée en chanson, etc), et l’équipe pakistanaise au camp de base était au top. Le coin aussi qui est magnifique, théâtre de tellement de belles pages d’himalayisme. C’était ma 3ème fois dans le Baltoro et c’est dur de s’en lasser.


Alors ne pas s’arrêter sur un échec, et en tirer une expérience. Je repartirai donc probablement, mais en ne prenant que des gens de la région grenobloise, en petit groupe, avec une expérience minimum de 3,4 ans en alpinisme, une charte commune et surtout des sorties ensemble notamment sur plusieurs jours, afin que les gens se connaissent bien et qu’une cohésion de groupe se créé, un peu comme celle qui se forme lors des formations que je donne dans mon club. Et plutôt en 2026 que 2025, pour avoir le temps de sortir ensemble et de voir si ça colle.

A voir si des gens tentés par le projet me contactent spontanément… ce sera le Makalu ou le Gasherbrum 2 de nouveau. A suivre...


Merci à la légèreté de la tente Rab (qui n'aura servi que 2 nuits, malheureusement restée sur place..), au sérieux des plumes Triple Zero, on peut remercier aussi quand ce n'est pas du sponsoring mais que l'on apprécie les produits ! Et merci à l'efficacité des crèmes solaires 8882 (1ère fois que je ne reviens pas avec les lèvres explosées..).

Expédition ou plage ? il faisait chaud dans ce cirque
Expédition ou plage ?
Urdukas, un campement durant le trek, vue sur les cathedrals tower, tour de mustagh, etc
Urdukas, un campement durant le trek
Vue sur le camp de base depuis un drone
Vue sur le camp de base depuis un drone

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